Tribune

Stop à l’infiltration de « l’idéologie positive » dans le secteur de la petite enfance

TRIBUNE. Un collectif, incluant Caroline Goldman et Élisabeth Badinter, alerte sur le nouveau guide de la petite enfance qui impose une « éducation positive » et interdit toute sanction.

Par un collectif*

Le Référentiel national de la qualité d’accueil du jeune enfant, publié en juillet, préconise, de façon officielle, les principes réglementaires applicables aux structures d’accueil de la petite enfance en France.
Le Référentiel national de la qualité d’accueil du jeune enfant, publié en juillet, préconise, de façon officielle, les principes réglementaires applicables aux structures d’accueil de la petite enfance en France. © Abdullah Firas/Abaca

Temps de lecture : 7 min

Un « Référentiel national de la qualité d'accueil du jeune enfant » a été publié en juillet dernier par le Service public de la petite enfance dépendant du ministère du Travail, de la Santé, des Solidarités et des Familles. Cet outil préconise, de façon officielle, les principes réglementaires applicables aux structures d'accueil de la petite enfance en France.

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Que dit ce guide ? Sous la plume de ses rédacteurs – dont certains sont adeptes d'une psychologie positive dévoyée comme leurs publications en témoignent –, tous les enfants sont subitement devenus des enfants polytraumatisés appelant réparation, toute obéissance est devenue signe de soumission et toute sanction parentale est devenue maltraitance.

Ces mêmes auteurs n'ont pas hésité à manipuler des données neuroscientifiques pour appuyer leur alarmisme, en confondant, par exemple, souris et enfants, maltraitances injustes et sanctions justifiées ou simple frustration et trauma lourd (« immobilisme, fuite, figement »).

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Ils n'ont pas non plus hésité à réinterpréter les lois. La « convention des droits de l'enfant » de 2019 – citée dans ce référentiel – a bien mentionné, parmi les maltraitances, « l'isolement » de l'enfant, suggérant le fait de l'exclure de façon radicale sur le plan sociorelationnel – par exemple en lui interdisant toute activité extérieure ou en l'enfermant dans une cave pendant des journées entières.

Mais ces auteurs ont semé la confusion en assimilant cette maltraitance à la « mise à l'écart temporaire hors de l'espace commun ». Y compris dans le cas de transgressions ponctuelles et dans un contexte plus général de bons soins parentaux – la technique du « time-out », validée scientifiquement et préconisée dans toutes les politiques de santé publique occidentales, dont il a été démontré, à un très haut niveau de preuves, qu'elle permettait de réduire les violences intrafamiliales, y compris dans des situations pathogènes.

Courant idéologique « positif »

On reconnaît aisément le courant idéologique « positif » quand on lit que l'agressivité des enfants n'existerait pas – « un conflit n'est pas de l'agressivité comme on pourrait l'observer chez l'adulte ». L'agressivité y est donc régulièrement renommée « émotion » et les poussées pulsionnelles « tempêtes émotionnelles ».

Ce guide suggère que tout enfant transgressif ou agressif devrait systématiquement être considéré comme incapable d'être éduqué par des interactions contenantes avec l'adulte : « Les professionnels ne posent pas comme objectif la discipline ou la “maîtrise” des enfants, ou d'établir le calme : ces objectifs ne répondent ni aux besoins ni aux capacités d'un enfant de moins de 3 ans. »

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Les auxiliaires n'auront, par conséquent, plus le droit de réagir à cette agressivité « de façon négative » et auront encore moins le droit de sanctionner l'enfant en le mettant à l'écart du groupe : « lorsque l'enfant exprime des émotions désagréables fortes, les professionnels ne lui disent pas de se calmer, ne minimisent pas ses émotions (“ce n'est pas grave”) » ; « ils ne régulent pas les conflits entre enfants de manière punitive et ne formulent pas de reproche vis-à-vis de l'enfant qui initie le conflit » ; « les conflits ne sont pas gérés de manière stricte et punitive, cette attitude est proscrite par la loi » – sans précision ni de la nature ni de l'intensité du conflit ni de la punition.

Encourager toute expression pulsionnelle

Au lieu de cela, les auxiliaires devront encourager toute expression pulsionnelle chez chacun des enfants : « L'expression des émotions ne fait pas l'objet d'interdits : par exemple, la colère peut s'exprimer par des cris, des objets jetés… L'enfant doit pouvoir exprimer cette colère. » Ici, comme dans la littérature « positive », les émotions et les pulsions sont confondues. Or, si les émotions doivent être mises en mots, les pulsions – d'emprise ou agressives –, elles, doivent être contenues par l'adulte.

À LIRE AUSSI Didier Pleux : « L'autoritarisme peut créer de petits fachos, la permissivité aussi » Si l'enfant continue néanmoins d'être agressif, y compris à 2 ou 3 ans, l'une des éducatrices devra l'emmener dans un lieu extérieur pour nouer un lien privilégié chaleureux en échangeant verbalement avec lui et en lui proposant ses bras. L'agressivité infantile, pourtant inhérente à tout développement psychoaffectif sain, n'aura donc plus le droit d'être perçue comme une simple recherche de limites éducatives. Au contraire, la transgression donnera lieu à des privilèges.

Les auteurs écrivent, par ailleurs, que « les professionnels ne cherchent pas à interrompre les pleurs de l'enfant avec une tétine ou un doudou. Ces objets ne sont pas utilisés pour réprimer l'expression d'une émotion ou la réguler, cette régulation étant d'abord assurée par l'adulte » ; « quand l'enfant s'exprime verbalement ou exprime une émotion, les professionnels proposent à l'enfant de s'en séparer » ; « l'adulte n'utilise pas la tétine comme un frein à l'expression d'une émotion pour l'enfant ».

Violence éducative

Nier l'agressivité pulsionnelle de l'enfant et sa quête normale de limites éducatives, considérer que tous les enfants sont dépressifs et polytraumatisés, encourager l'expression de toute frustration sans cadre et assimiler toute mise à l'écart à une violence éducative relève d'une posture insensée et dangereuse. C'est une violence éducative, tant pour la santé des enfants que pour celle des professionnels, des institutions et des parents.

Nous, psychologues, pédopsychiatres, pédiatres, professionnels de l'enfance, enseignants et chercheurs, connaissons les conséquences délétères, sur l'enfant et sa famille, de l'application de ces préceptes de « maternage précoce » maintenu à tort au fil du développement :

  • Des enfants encouragés à déborder sur le plan pulsionnel car transgresser ne donne lieu à aucune frustration immédiate, voire à la gratification d'un lien privilégié avec l'adulte (time-out tendre en sa présence).
  • Un défaut de compréhension du monde et de ses règles relationnelles (confusion entre le bien et le mal, puisque tout est accueilli avec tendresse).
  • Frustration, épuisement et découragement des auxiliaires, qui ne voient aucune accalmie comportementale liée à leurs efforts (accueillir avec patience l'agressivité des enfants sans jamais parvenir à la contenir, pour finalement la voir enfler) au fil de l'année.
  • Des enfants sans défense mordus, poussés, malmenés, angoissés de se rendre sur leur lieu d'accueil et n'ayant plus confiance dans les fonctions protectrices des adultes.
  • Le maintien d'une agitation qui infiltrera possiblement leurs capacités d'adaptation scolaire, leurs fonctions attentionnelles, leur motricité, leurs investissements relationnels, et donnera lieu à des diagnostics de « troubles » créés de toutes pièces.

Nous préconisons :

  • De distinguer le bébé du jeune enfant (avant et après l'acquisition de la marche, soit autour de 12 mois), car leurs besoins relationnels et structurels évoluent.
  • Que les lieux d'accueil continuent d'assumer et faire fonctionner leur espace traditionnellement dédié à la mise à l'écart ponctuelle des enfants de plus de 12-18 mois en bonne santé psychique se contentant d'appeler ces limites éducatives (généralement dans le coin des bébés, évidemment en leur absence, sous le regard des auxiliaires mais derrière une petite barrière de sécurité), lorsque plusieurs mises en mots et en garde n'ont pas suffi (c'est-à-dire très souvent)…
  • Que la tétine, qui constitue un outil d'auto-étayage efficace, ne soit jamais empêchée en cas d'état de tension. Car la socialisation se noue moins autour d'un détail technique qu'à partir du bien-être éprouvé dans l'espace social auquel la tétine contribue.

À Découvrir Le Kangourou du jour Répondre Il est non seulement choquant mais irresponsable au regard des connaissances scientifiques sur le développement de l'enfant que « l'éducation positive dévoyée » devienne la norme dans les crèches françaises. Nous demandons la révision immédiate de ce qui, dans ce référentiel, relève de cette idéologie par un comité d'experts comprenant, en son sein, des professionnels ayant la pratique des conséquences de ces principes.

* Les premiers signataires (liste complète à consulter ici) : Caroline Goldman, psychologue clinicienne pour enfants et adolescents, docteure en psychopathologie clinique ; Caroline Eliacheff, pédopsychiatre, psychanalyste, codirectrice de l'Observatoire des discours idéologiques sur l'enfant et l'adolescent ; Céline Masson, professeure de psychopathologie clinique, psychanalyste, codirectrice de l'Observatoire des discours idéologiques sur l'enfant et l'adolescent ; Bernard Golse, pédopsychiatre, psychanalyste, professeur émérite de psychiatrie de l'enfant ; Daniel Marcelli, pédopsychiatre, professeur émérite de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent ; Élisabeth Badinter, philosophe ; Catherine Dolto, médecin, praticienne en haptonomie ; Jean-Pierre Lebrun, psychiatre, psychanalyste ; Diane Drory, psychanalyste, psychologue ; Maurice Berger, pédopsychiatre, ex-professeur associé ; Albert Bensman, professeur honoraire de pédiatrie ; Israël Nisand, professeur émérite de médecine ; Daniel Sibony, professeur d'université, psychanalyste ; Béatrice Copper-Royer, psychologue clinicienne ; Christian Flavigny, pédopsychiatre, psychanalyste ; Patrick Belamich, psychiatre, psychanalyste ; Jean-Daniel Lalau, professeur d'endocrinologie et diabétologie ; Anne Brun, professeure émérite de psychopathologie clinique, psychanalyste ; Sarah Vibert, maître de conférences en psychologie clinique ; Béryl Koener, pédopsychiatre, MD, PhD…

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Commentaires (12)

  • archi4444

    Au collège c’est pareil, il y le contrôle pour ceux qui savent et celui qui ne savent pas. Comme ça tout le monde a une ...bonne note (moyenne générale de la classe de 15). comment un enfant peut il comprendre qu’il est en échec s’il on lui met des exams faciles pour qu’il est 20/20 ?

  • alfort

    Ça fait peur de lire ça. Quand les enfants sont-ils éduqués ? Et après on se demandera pourquoi les hôtels ou les trains... sans enfant ont de plus en plus de succès

  • Sic transit...

    Hélas c’est déjà trop tard. Il suffit d’observer ces parents déconstruits tout autour négocier avec leurs enfants en éga...ux