Même joueur joue encore. Sébastien Lecornu, renommé Premier ministre vendredi à 22 heures passées, à l’issue d’une semaine qui a envoyé dans le décor son socle commun, repart pour un tour gratuit à Matignon. Carbonisé, mais peut-être un peu mieux connu des Français qui l’ont vu successivement annoncer sa démission lundi, puis, chargé malgré tout de dégager un accord de gouvernement avec les forces parlementaires, faire miroiter mercredi soir de «bonnes nouvelles» et la perspective d’une hypothétique entente.
Les conditions de son retour ne prêtent guère à l’optimisme. Soutenu par une base politique toujours plus fragile – ni LR ni le parti philippiste Horizons ne garantissent à cette heure de participer au gouvernement –, l’intéressé n’a semblé accepter sa nomination, dont l’heure tardive laisse deviner de difficiles tractations, que du bout des lèvres, «par devoir». La situation de ce Premier ministre démissionnaire, puis renommé, n’a guère d’équivalent sous la Ve République ; elle peut à peine se comparer à celle de Georges Pompidou en 1962, renversé par l’Assemblée mais dont la démission avait été refusée par le général de Gaulle – mais ce dernier avait aussitôt… dissous l’Assemblée.
«Le pompon reste au même endroit»
Ce retour a suscité des réactions consternées dans les oppositions. «La manœuvre est aujourd’hui transparente : l’abandon du 49.3 n’avait pour seul objet que de permettre de passer le budget par ordonnances, a pointé Marine Le Pen sur X. Les manœuvres continuent, la censure, par conséquent, s’impose et la dissolution est plus que jamais incontournable.» Le communiste Fabien Roussel a dénoncé un «inacceptable entêtement du président», engageant les siens vers «la censure» et un «retour aux urnes». Son homologue écolo, Marine Tondelier, ne voit non plus «aucun argument pour ne pas […] censurer» le futur gouvernement Lecornu.
Quant aux socialistes, suspectés de préparer un «deal» avec le nouveau Premier ministre sur la suspension de la réforme des retraites, ils ont dénoncé une «intox totale». Le tout sous les moqueries de Jean-Luc Mélenchon, resté loin du vaudeville : «A chaque tour du manège le pompon reste au même endroit, a-t-il diffusé sur ses réseaux. Ceux qui ont été le décor de cette comédie en sont pour le ridicule.»
Le leader insoumis faisait référence à la réunion tenue deux heures durant à l’Elysée, le même après-midi, entre le chef de l’Etat et les leaders des principaux partis, hors RN et LFI. Ceux-ci s’étaient vus d’indiquer s’ils souhaitaient ou non une dissolution, et s’ils se considéraient ou non comme faisant partie du «socle commun». Des «tractations folkloriques», avait ironisé le leader insoumis plus tôt dans la journée, «une réunion de marchand de tapis», avait raillé Le Pen, depuis le congrès des pompiers au Mans (Sarthe). Les absents n’ont pas dû avoir de regrets en voyant les mines déconfites des responsables de gauche à la sortie.
«Avec aucune réponse sur rien»
«Nous ne ressortons avec aucune réponse sur rien», a déploré Marine Tondelier, qui a seulement appris que le Président ne comptait toujours pas confier Matignon à la gauche : «Plus il est seul, plus il se rigidifie sur sa position initiale.» «Nous sommes face à un mur», a conclu son homologue communiste, Fabien Roussel. Les deux chefs politiques ne devraient pas se sentir démentis par la re-nomination à Matignon d’un fidèle parmi les fidèles du chef de l’Etat, symbole à leurs yeux du refus d’Emmanuel Macron de toute concession à leur camp. «Personne n’est sorti en disant «censure automatique», donc il y a du grain à moudre», voulait tout de même croire l’entourage du chef de l’Etat, exagérément optimiste.
Sébastien Lecornu doit désormais faire face à une décourageante montagne de défis, dont deux à très court terme : déposer en urgence son projet de budget lundi pour être dans les temps prévus par la Constitution ; et, pour éviter un nouveau crash au décollage, aboutir enfin à un modus vivendi avec le Parti socialiste, objet d’interminables palabres depuis sa première nomination à Matignon le 9 septembre. La clé de l’affaire semble être le sort de la réforme des retraites, dont le PS souhaite a minima la suspension, ne se satisfaisant pas du «report» évoqué par Emmanuel Macron ce vendredi devant les partis. Le chef de l’Etat a cité en «exemple» une proposition de la CFDT consistant à décaler au 1er janvier 2028 le report de l’âge légal de départ qui devait prendre effet au 1er janvier 2027.
«On les a un peu regardés laver leur linge sale»
A l’Elysée, Macron a également pris le pouls d’un «socle commun» franchement pas vaillant après le coup de sang de Bruno Retailleau qui avait tué dans l’œuf le précédent gouvernement et les sorties de Gabriel Attal et d’Edouard Philippe qui ont poignardé le Président, le second lui proposant même de planifier son départ. Une implosion qui aurait dû renforcer le scénario d’une ouverture à gauche, défendue jusque dans la macronie. «Nous sommes là parce que depuis une semaine il y a une crise interne à la majorité», a rappelé Olivier Faure. «On les a un peu regardés laver leur linge sale», a abondé Boris Vallaud. Mais alors que l’écologiste Cyrielle Chatelain affirmait que les insoumis pourraient être dans un soutien sans participation à un gouvernement de gauche, Emmanuel Macron, selon un participant, a semblé évacuer l’idée : «Admettons que vous êtes 190, le socle commun représente 210 députés. Je trancherai dans les heures qui viennent.»
Arrivé seul au rendez-vous élyséen, le patron du parti Les Républicains (LR), Bruno Retailleau, a acté sa disparition, préférant reprendre l’expression de «plateforme sur le fond», rapporte son entourage. Le ministre de l’Intérieur démissionnaire a redit au passage qu’il ne cautionnerait ni un chef du gouvernement de gauche ni un «macroniste». Tout en orchestrant, plus tôt dans la journée, sa tournée d’adieu à Beauvau lors du congrès annuel des pompiers… A front renversé, le patron des députés LR, Laurent Wauquiez, principal responsable, ces derniers mois, des turbulences au sein du socle, se fait désormais le porte-voix d’un groupe «responsable» et prêt, malgré lui, à avaler une suspension de la réforme des retraites pour éviter une dissolution, contre l’avis de Retailleau. Prudent, il ne s’est avancé ni sur l’état de santé de la coalition ni sur la participation de son camp au futur exécutif.
Chez Horizons, Edouard Philippe a gardé le silence lors de la réunion à l’Elysée. Mais «chacun a compris qu’il n’avait aucune envie de signer son adhésion à un pacte», glisse le socialiste Olivier Faure. «La position d’Horizons sur une éventuelle participation gouvernementale sera formulée lorsque le Premier ministre sera connu», a publié le parti sur X. Chez Renaissance, Gabriel Attal a défendu la «plateforme d’action» à activer en vue de l’examen du projet de loi de finances. Un radeau plus fragile que jamais pour traverser l’automne budgétaire.
Mise à jour à 00h03 avec les réactions des oppositions.