Selon une étude récente*, 78 % des Français estiment qu’une réforme en profondeur de l’État-providence est nécessaire. Où se trouve donc le problème ?
Il y a un fort consensus des Français pour réformer le modèle social, mais ça reste très théorique. Dès qu’on entre un peu dans les détails, dans les mesures qu’on pourrait prendre, on trouve une majorité de Français opposés. Au-delà de l’idée générale, il n’y a aucun accord sur des mesures particulières – forcément douloureuses – qu’il faudrait prendre.
Pourquoi, à votre avis ?
L’État social français est extrêmement généreux et distribue des prestations à un grand nombre de Français. L’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) a montré que quand on fait le total des contributions et des prestations sociales, 57 % des Français retirent plus de l’État qu’ils n’y contribuent. On a tellement élargi le périmètre de l’État-providence que, maintenant, c’est très difficile de le réformer. Dès qu’on touche à une mesure, on touche aux avantages de telle ou telle catégorie. Donc c’est une tâche très compliquée.
Est-ce les mêmes raisons qui expliquent les difficultés du gouvernement à faire passer une réforme des retraites ?
En 1981, François Mitterrand a fait passer la retraite à 60 ans et depuis ce temps-là, la France a un nombre moyen d’heures travaillées par habitant nettement inférieur à celui des autres pays de l’OCDE. Les Français se sont habitués à ça et ils ne veulent pas revenir en arrière.
Il n’y a pas de rejet du travail en France : lorsqu’ils travaillent, les Français travaillent plutôt beaucoup. Mais ils entrent tard dans la vie active et ils en sortent tôt. Ils sont attachés à ce modèle, mais ce dont les Français ne se rendent pas compte, c’est que, de ce fait, on produit moins, donc on produit moins de richesse collective à partager entre tous les Français.
D’ailleurs, le PIB par habitant en France a régressé assez nettement par rapport à nos voisins européens.
Les déficits alarmants enregistrés par les gouvernements successifs sont-ils de nature à servir de sonnette d’alarme ?
La dette, c’est quelque chose d’assez abstrait pour les Français. Déjà, le premier ministre François Fillon affirmait en 2007 qu’il était à la tête « d’un État en faillite ». Les Français se disent qu’au fond, ça n’a pas tellement de conséquences, que le pays arrive à fonctionner. Les gens ne voient pas l’urgence.
L’autre élément, c’est le passage à l’euro. Auparavant, si la France vivait des difficultés économiques, on dévaluait le franc. Ça avait des conséquences assez directes sur le prix des biens. Depuis qu’on est dans l’euro, il n’y a plus ces conséquences parce qu’on est protégés par nos voisins.
* Enquête menée par l’Institut CSA du 28 mai au 9 juin 2025 sur un échantillon de 2007 personnes pour le compte de l’Institut pour l’innovation économique et sociale (2IES).
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