Transports

Les enfants se déplacent de moins en moins à vélo, voici pourquoi

Des élèves d'école primaire prenant part au programme «Savoir rouler à vélo», à Bordeaux, en octobre 2022.

Les déplacements à vélo sont ultra minoritaires chez les plus jeunes. Ils reculent même, malgré la croissance de la pratique chez les adultes dans les villes, signe d’une perte d’autonomie et du poids des représentations.

Le nombre d’adeptes du vélo pour les déplacements quotidiens augmente en France depuis plusieurs années… sauf chez les enfants, où la tendance est diamétralement opposée. C’est ce qui ressort d’une enquête de grande ampleur — un questionnaire envoyé à 5 000 parents de France hexagonale et 500 parents résident dans les départements et régions d’outre-mer, ainsi que 500 jeunes de 18 à 20 ans — publiée début septembre par l’Agence pour la transition écologique (Ademe).

Le vélo n’a pas totalement perdu la cote auprès des enfants : la plupart sont équipés à l’âge des premiers coups de pédales (85 % des personnes interrogées possèdent un vélo pour leur enfant). Le biclou est même plébiscité comme objet de loisir ou de sport. Mais le taux d’équipement diminue fortement à mesure que les enfants grandissent et le vélo est de moins en moins utilisé comme un mode de transport.

Au collège, le vélo ne représente que 4 % des trajets entre le domicile et l’établissement scolaire, dans l’hexagone, et 8 % des déplacements extrascolaires, indique l’Ademe. Et la tendance est au recul de la « part modale » du vélo, c’est-à-dire la proportion des trajets effectués avec ce mode de transport, à en croire les données recueillies par l’Insee sur la mobilité :

Chloé Charrat, chargée de plaidoyer à la Fédération des usagers de la bicyclette (FUB), connaît bien ce phénomène, constaté dans la plupart des pays occidentaux depuis plusieurs décennies. « On observe en moyenne deux enfants par classe de CM2 qui ne savent pas faire de vélo. Ce sont des chiffres que nous n’avions pas du tout il y a encore quelques années. »

L’Union Sport & Cycle, qui publie chaque année des chiffres de vente de vélos, observe une chute vertigineuse des ventes de vélos pour enfants. Il s’en écoulait près d’un million en 2018 et seulement 590 000 en 2024. « Les premiers vélos enfants ne sont pas remplacés, ils sont souvent partagés au sein de la fratrie ou avec les adultes, souvent en mauvais état ou pas à la bonne taille », constate Matthieu Adam, géographe.

« Le discours sécuritaire s’amplifie et véhicule l’idée que l’espace public est hostile pour les enfants »

Le vélo pâtit de la concurrence de la voiture, qui s’est imposée comme le mode de transport privilégié même pour les courtes distances. Les parents, dans 8 cas sur 10 selon l’étude de l’Ademe, poursuivent leur trajet vers leur travail ou un commerce après avoir déposé leur enfant. Les trajets quotidiens des enfants s’insèrent donc dans les « boucles de déplacements » de leurs parents.

De génération en génération, on constate également une transformation des mentalités, avec une « perception accrue des risques liés à l’environnement urbain », écrit l’Ademe. D’après son étude, plus des trois quarts des parents perçoivent la marche et le vélo comme plus dangereux qu’à l’époque où eux-mêmes étaient enfants.

« Le discours sécuritaire s’amplifie et véhicule l’idée que l’espace public est hostile pour les enfants, commente Mathieu Adam. Cela produit des attentes importantes sur la parentalité. Il n’est plus aujourd’hui accepté de voir un enfant seul dans l’espace public, alors que le risque intrinsèque est plus faible aujourd’hui dans les grandes villes qu’il ne l’était avant qu’on commence à remettre en cause la place de l’automobile. »

Cette évolution alimente un cercle vicieux : la peur des accidents causés par les voitures, spécifiquement aux abords des écoles, incite les parents à prendre leur voiture pour aller à l’école.

Barrières psychologiques

L’autre barrière psychologique est de sentir que l’enfant sera capable de réagir en cas d’imprévu. S’il crève ou chute et se fait mal. Or, les villes sont de plus en plus anonymes, y compris pour les enfants, regrette Cyril Vernay, qui s’occupe des mobilités des enfants et adolescents à la Maison du Vélo Lyon métropole : « Nous apprenons à nos enfants à se méfier des adultes, plutôt qu’à leur demander un coup de main en cas d’imprévu. Les enfants n’ont plus le réflexe d’aller chercher secours auprès des commerçants. Nous n‘arrivons pas à faire communauté autour des enfants. »

Résultat, selon l’Ademe, « les espaces pratiqués par les enfants ont rétréci au fil des générations. Les grands-parents bénéficiaient d’une grande liberté dès 6-7 ans pour se déplacer seuls à pied ou à vélo sur des distances importantes. Les parents avaient déjà une autonomie réduite, mais pratiquaient encore les modes actifs pour l’école et les loisirs. Les enfants d’aujourd’hui sont majoritairement accompagnés par leurs parents, même pour des trajets courts. »

Seule l’acquisition d’un premier téléphone, qui devient massive à partir de l’âge du collège — 8 enfants sur 10 en sont dotés à cet âge — permet aux parents de laisser leurs enfants seuls, ce qui retarde l’autonomie et la conditionne à un nouveau « fil à la patte ».

Le poids des représentations et des préjugés

Le vélo traîne une réputation contrastée. Il a une meilleure réputation chez les enfants que chez leurs parents. L’Ademe constate ainsi que les parents interrogés sont 75 % à penser que leurs enfants auraient aimé prendre davantage la voiture, alors que, chez les 18-20 ans interrogés, c’est le vélo qui arrive en tête des moyens de transport qu’ils auraient voulu prendre plus souvent (20 % d’entre eux le citent) avant même la voiture.

Mais l’idée reste encore ancrée que se déplacer à vélo fait « enfant » ou « ringard ». Sans compter que le port du casque à tendance à décoiffer, ce qui compte énormément à l’adolescence.

Les biais de genre sont un poids supplémentaire pour la mobilité des filles. La pratique est pétrie « d’injonctions sexuées », particulièrement prégnantes à l’adolescence, souligne le sociologue David Sayagh dans Sociologie du vélo, qui vient de paraître à la collection Repères : « Alors qu’il est le plus souvent délaissé par les filles, le vélo représente pour les garçons un support idéal à la construction d’une masculinité hégémonique par le développement du goût du risque et de l’effort physique, ainsi que par l’appropriation de l’espace public. »

Selon l’enquête de l’Ademe, la rue est également perçue par les parents comme un lieu davantage propice aux agressions pour leurs filles que pour leurs garçons.

« Beaucoup de pistes cyclables ne sont pas du tout adaptées à un enfant de 8 ans »

Alors comment faire progresser le vélo chez les enfants ? Des progrès peuvent être faits dans les aménagements cyclables, qui sont aujourd’hui avant tout pensés pour favoriser des grands axes circulants, permettant de quadriller la ville, mais pas de sécuriser les petits trajets à l’échelle du quartier.

« Il y a beaucoup de pistes cyclables qui conviennent à des cyclistes aguerris, mais qui ne sont pas du tout adaptées à un enfant de 8 ans. Il va falloir que les pouvoirs publics s’emparent de cette question des abords des écoles. Pour nous, c’est prioritaire », dit Chloé Charrat à la FUB.

La réduction de la vitesse sous les 30 km/h montre également des résultats tangibles là où elle est déployée. Dans les zones 30, un tiers des enfants ne sont pas accompagnés, qu’ils soient en vélo ou à pied, contre un quart dans les zones où la vitesse est limitée à 50 km/h, voire à peine 1 enfant sur 6 sur les boulevards urbains.

Les formations, à l’école, sont aussi plébiscitées pour tenter d’inverser ce phénomène. Un programme « savoir rouler à vélo », depuis 2020 à l’école primaire, vise à parfaire l’apprentissage complexe de l’autonomie à vélo.

Du vélo loisir au vélo quotidien

Le vélo reste également apprécié des jeunes comme objet de loisir. Dimension déterminante pour l’apprentissage, pour Cyril Vernay : « C’est important d’insister sur cela, car le vélo loisir est un préalable au vélo comme mode de transport qui devrait être au cœur des politiques de décarbonation ».

« Lorsqu’on arrive à garder cette notion de plaisir tout en favorisant les déplacements, cela peut donner des résultats encourageants, dit Chloé Charrat. Je pense au département de la Gironde qui soutient les manifestations liées au vélo loisir [et la vague dite « Bikelife », art de l’acrobatie à vélo à la mode chez les adolescents]. Ils arrivent à de super bons résultats dans certains collèges du département. »

Au bout du compte, le vélo a un réel pouvoir pour décarboner les trajets quotidiens des enfants, insiste Chloé Charrat : « Il y a un peu plus de 80 % des collégiens et collégiennes qui habitent à moins de 20 minutes de vélo de leur collège. »