Le 21 août 2025, Le Monde, quotidien dit de référence, publie un article de son journaliste « politique » Olivier Pérou qui évoque notamment les universités d’été de La France insoumise (LFI) – les Amfis.
Pérou est le co-auteur (1) d’un livre à charge sur LFI paru au mois de mai 2025, La Meute, qui dès son titre animalise donc le parti insoumis et le présente, entre autres gracieusetés, comme un mouvement sectaire – ce qui lui a bien évidemment valu d’être acclamé par le commentariat dominant, où la détestation de la gauche est inversement proportionnelle aux indulgences concédées à l’extrême droite.
Dans son article du 21 août, ce journaliste engagé écrit que « Le Monde a été empêché de participer » aux Amfis « en raison d’un refus d’accréditation du mouvement de Jean-Luc Mélenchon ».
Il ne précise cependant pas que c’est à lui, personnellement, que La France insoumise, considérant après la publication de La Meute qu’il est de parti-pris, a refusé de délivrer une accréditation.
C’est Jérôme Fenoglio, directeur du quotidien, qui se charge d’apporter ce renseignement, dans un encadré au ton courroucé où il soutient que « Le Monde est empêché d’assister à l’université d’été de La France insoumise (LFI), du 21 au 24 août à Châteauneuf-sur-Isère (Drôme), près de Valence, en raison du refus par la direction de ce mouvement d’accréditer notre journaliste, Olivier Pérou, chargé, avec Sandrine Cassini, du suivi des partis de gauche, dont LFI. »
Le patron du Monde explique : « La direction de LFI explique cette mesure par le fait qu’Olivier Pérou est cosignataire d’un livre publié récemment qui lui a fortement déplu. »
Puis de conclure : « Nous apportons notre soutien à notre journaliste, nous avons toute confiance dans le sérieux et le professionnalisme d’Oliver Pérou et de Sandrine Cassini, qui continueront à couvrir les partis de gauche, dont LFI. Nous ne transigerons pas sur notre liberté de choisir nos journalistes pour couvrir rubriques ou événements, qui fait partie intégrante de notre indépendance éditoriale. »
Problème : il manque, dans le papier de Pérou comme dans l’encadré signé par Fenoglio, une importante information.
Car en effet : il est parfaitement exact que La France insoumise a refusé d’accréditer un journaliste qui ne fait nul mystère de la très vive hostilité que lui inspire ce parti.
Mais il est en revanche faux et pour le moins très fallacieux de soutenir que Le Monde aurait été « empêché » de participer aux universités d’été des insoumis - qui ont au contraire précisé, dans un communiqué, que s’ils refusaient d’accréditer Olivier Pérou, « la rédaction » de son journal restait « tout à fait la bienvenue pour couvrir cet événement ».
En d’autres termes : Le Monde aurait fort bien pu envoyer aux Amfis, plutôt que celui qui a fait dans La Meute la démonstration de la profonde aversion que lui inspire la gauche insoumise, un ou une autre journaliste.
Mais le journal « de référence » fait au contraire le choix de ne pas couvrir ces universités d’été dont l’accès ne lui était donc nullement interdit – pour mieux se poser en victime d’une odieuse attaque contre la liberté de la presse.
Non sans quelque succès, puisque les sociétés des journalistes (SDJ) de plusieurs médias - dont celle de Blast – cosignent quelques heures plus tard, avec la SDJ du Monde, un communiqué discrètement corporatiste dénonçant « un coup de semonce pour toute (la) profession » journalistique, soutenant qu’ « il n’appartient pas aux partis politiques de choisir les journalistes qui assistent à leurs réunions, meetings, congrès, conférences de presse » et autres « universités d’été », et appelant pour finir ces « partis politiques à respecter les fondamentaux de la vie démocratique, dont ils sont l’un des piliers ».
Une telle posture présente quelques avantages, dont le moindre n’est pas qu’elle permet de suggérer que les journalistes du Monde sont d’intraitables gardiens desdits « fondamentaux de la vie démocratique » - et en particulier de la liberté de la presse.
Problème : cette liberté ne se réduit évidemment pas au droit de bénéficier d’une accréditation pour tel ou tel événement, politique ou autre.
Mais dans une époque où la presse et les médias souffrent d’un grave discrédit amplement justifié par leurs manquements répétés aux grands principes que les journalistes invoquent si volontiers, la suggestion que leur indépendance serait mise à mal par le refus d’accréditer un journaliste – mais non le média qu’il représente – permet bien sûr d’occulter quelques vérités dérangeantes, dont la rédaction de Blast a bien conscience.
Comme celle-ci, par exemple : La France insoumise fait depuis plusieurs années l’objet d’une campagne de dénigrement qui va bien au-delà des critiques légitimes pouvant lui être adressées, et dans laquelle Le Monde prend toute sa part.
De fait : certains journalistes du « quotidien de référence » donnent parfois l’impression d’oublier que leur liberté, assurément primordiale, ne va pas sans quelques obligations - dont celles, distinctement énoncées dans la « charte d’éthique et de déontologie » du Monde, de « respecter la vérité » et de « ne jamais confondre le métier du journaliste avec celui du propagandiste ».
Car depuis plusieurs années, ces sermonnaires s’obstinent à suggérer que La France insoumise, formation banalement sociale-démocrate, serait un parti extrémiste - en la classant régulièrement avec le Rassemblement national, parti cofondé par un ancien Waffen SS, dans une seule et unique catégorie désignée par ces deux mots lourds d’inquiétants sous-entendus : « Les extrêmes. »
Cette désignation, pour ce qui concerne LFI, est erronée – comme l’a rappelé le Conseil d’État dans une décision datée du 11 mars 2024 stipulant que les insoumis font partie d’un bloc de gauche distinct de l’extrême gauche.
Mais il est permis de supposer, petit un : que cette appellation a contribué à minimiser, en le relativisant, l’ultraïsme du Rassemblement national – formation dont le Conseil d’État a rappelé dans la même décision qu’elle se situait bien, quant à elle, à l’extrême droite.
Et, petit deux : que Le Monde, en répétant faussement que La France insoumise était une organisation extrémiste, a aussi élargi la brèche dans laquelle s’engouffre désormais la droite dite « républicaine » pour psalmodier à l’unisson du très réactionnaire ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau que cette gauche représente « la première et la pire menace politique aujourd'hui ».
Militants propalestiniens
D’autre part, il arrive aussi que Le Monde se montre moins prompt à s’émouvoir d’atteintes – bien réelles - à la liberté de la presse.
Le 1er juin dernier, Yanis Mahmdi, journaliste à Blast, s’est embarqué pour un reportage à bord du Madleen, voilier humanitaire dont l’équipage espérait forcer le blocus illégal imposé par Israël à la bande de Gaza, et à bord duquel se trouvait aussi un reporter d’Al Jazeera.
Dans la nuit du 8 au 9 juin, ce bateau a été illégalement arraisonné par l’armée israélienne dans les eaux internationales - et Yanis a été, comme les onze autres membres de l’équipage, arrêté illégalement, puis incarcéré illégalement en Israël.
Le Monde, qui savait bien sûr que deux journalistes se trouvaient à bord du Madleen, a dans un premier temps rendu compte de cet acte de piraterie en ces termes choisis : « Le voilier Madleen, qui tentait de rallier la bande de Gaza avec une douzaine de militants propalestiniens de diverses nationalités à son bord, dont l’activiste écologiste suédoise Greta Thunberg, l’eurodéputée Rima Hassan et cinq autres Français, a été intercepté par des commandos marine israéliens, dans les eaux internationales. »
Plutôt que de dénoncer pour ce qu’elle était cette gravissime atteinte à la liberté de la presse - perpétrée par surcroît par une armée qui depuis deux ans a tué à Gaza plusieurs centaines de journalistes, palestiniens pour l’essentiel : l’élan premier du journal « de référence » a donc été de présenter les reporters qui se trouvaient à bord du bateau comme des « militants » (2).
En somme, quand un journaliste de Blast s’embarque pour un reportage sur l’abominable supplice auquel sont soumis depuis 2023 les Palestiniens de Gaza : Le Monde considère a priori qu’il s’agit d’un « militant » - désignation évidemment dépréciative, et qui, lorsqu’elle a été formulée, exposait Yanis, alors détenu par une armée qui tue régulièrement des journalistes en les présentant comme des activistes, à de graves dangers.
Mais quand un collaborateur du Monde chargé de couvrir notamment l’actualité de La France insoumise corédige un livre chargeant ce parti de tous les péchés : il ne doit, selon son employeur, surtout pas être considéré comme un militant, mais comme un irréprochable journaliste – et les insoumis qu’il présente comme des chiens de « meute » sont sommés de lui faire bon accueil.
On voit par là qu’il n’y a pas que sur sa liberté de choisir ses journalistes que le journal « de référence » ne transige pas – et que cette fière détermination s’applique tout aussi bien à sa liberté de choisir ses doubles standards.
(1) Avec Charlotte Belaïch, qui travaille quant à elle pour Libération.
(2) Quelques jours plus tard, la société des journalistes du Monde a signé un appel de Reporters sans frontières et Blast exigeant la libération immédiate de Yanis – qui a finalement été relâché le 16 juin au matin.
Crédits photo/illustration en haut de page :
Morgane Sabouret / Margaux Simon