Qu’il est facile de se moquer des Français ! Je suis bien placé pour le savoir, je pratique la chose assidûment. La plupart d’entre eux attendent de l’État qu’il leur finance tout un tas de choses, dont vingt-cinq années de retraite. Et quand le déficit budgétaire atteint 5,8 % du PIB et que le gouvernement cherche à réduire ses dépenses, ici, on se met en grève pour conspuer un État qu’on dit “néolibéral”, l’État le plus dépensier du monde développé. Les partis d’opposition refusent tout compromis avec Emmanuel Macron, qu’on surnomme le “président des riches”.

Pourtant, j’en arrive à trouver la colère des Français en partie justifiée. La France d’aujourd’hui est une démocratie sociale sous-financée, croisée avec une oligarchie. C’est un pays dominé, plus que tout autre en Europe de l’Ouest, par des milliardaires puissants qui paient relativement peu d’impôts. La plupart des Français sont d’accord pour dire que leur pays doit réduire son déficit. La question est plutôt de savoir qui doit payer. Et la majorité s’accorde aussi sur la réponse, à savoir : les super-riches d’abord.

Un oligarque est une personne qui possède à la fois une grande richesse et du pouvoir, et qui se sert de l’un pour gagner de l’autre. Les oligarques sont devenus nombreux en France au cours de ce siècle, grâce en grande partie à l’essor du luxe français. Parmi les sept plus grosses entreprises de l’Union européenne [en capitalisation boursière] figurent LVMH (que dirige l’homme le plus riche de France, Bernard Arnault), Hermès et L’Oréal.

Conséquence logique du macronisme

Et les premiers bénéficiaires sont les cinq cents plus riches familles françaises. Entre 1996 et 2024, leur patrimoine est passé de 6 % du PIB français à 42 %, relève l’économiste Gabriel Zucman dans son livre à paraître à la fin du mois [aux éditions du Seuil], Les milliardaires ne paient pas d’impôt sur le revenu et nous allons y mettre fin. La France est désormais le pays de l’UE comptant le plus grand nombre de milliardaires, 147 selon l’Observatoire européen de la fiscalité [dirigé par Gabriel Zucman]. Et ils sont peu nombreux à le devoir à la méritocratie, puisque soixante des cent plus grosses fortunes françaises sont héritées, selon la Fondation Jean-Jaurès.

Les oligarques placent généralement leur fortune dans des holdings. L’impôt sur les sociétés (que Macron a baissé) étant plus faible que l’impôt sur le revenu, leur taux effectif d’imposition est de seulement 25 %, soit moitié moins que les revenus du Français moyen, calcule Zucman. Lui propose ainsi une taxe sur les grandes fortunes, à hauteur de 2 % pour les 1 800 individus dont la fortune dépasse 100 millions d’euros. Interrogés par l’Ifop [les 10 et 11 septembre 2025], 86 % des Français se disent favorables à “la taxe Zucman”*.

Bernard Arnault n’est pas de ceux-là. Pour lui, la proposition témoigne “d’une volonté clairement formulée de mettre à terre l’économie française”. Macron est d’accord avec l’oligarque. Pourtant, le déficit de la France est la conséquence logique du macronisme : un État très dépensier, accompagné de baisses d’impôts pour les riches. Le président s’incline devant les oligarques. Les hommes comme Bernard Arnault, Martin Bouygues ou Vincent Bolloré, soutien de l’extrême droite, possèdent une bonne partie des médias français et ont tous une ligne directe avec le président, quel qu’il soit.

Macron voit régulièrement des oligarques. Quand ça leur parle, ils versent leur écot à des projets présidentiels. L’essentiel des dons pour les travaux de Notre-Dame après le grand incendie est venu de Bernard Arnault, de François Pinault et de la famille Bettencourt, héritière de la fortune du groupe L’Oréal. LVMH était “partenaire premium” des Jeux olympiques de Paris.

Un nouveau 1789, la guillotine en moins

Dans le paysage parisien, les oligarques sont partout. La Fondation Cartier, qui inaugure ses nouveaux locaux en face du Louvre le 25 octobre, rejoint ainsi le club parisien bien fourni des musées d’art de milliardaires, aux côtés de la Fondation Louis-Vuitton et de la Bourse de commerce de François Pinault.

En bas de mon bureau dans le XIe arrondissement, quartier jadis populaire, un immeuble délabré est en cours de rénovation pour accueillir une boutique Hermès. Paris tout entière devient une ville de luxe, dont les appartements se concentrent de plus en plus entre les mains d’étrangers ou de très riches Français, et dans certains quartiers la population est encore composée à 10 % d’aristocrates. C’est comme si 1789 n’avait jamais eu lieu.

Alors tout cela contrarie beaucoup de Français. La France n’est pas les États-Unis, elle n’admire pas ses riches. Pire, cette “ploutocratisation* est particulièrement insupportable en ces temps où, après les baisses des aides sociales décidées par Macron, environ un Français sur six vit dans la pauvreté – du jamais-vu depuis 1996. Les classes moyennes aussi sont à la peine : le taux de propriétaires stagne à 57 % de la population depuis vingt ans, rapporte la Fondation Jean-Jaurès.

Beaucoup de Français aspirent à un nouveau 1789 – la guillotine en moins. Selon Zucman, sa taxe sur les grandes fortunes permettrait de lever 20 milliards d’euros par an. Peut-être pèche-t-il par excès d’optimisme, mais une chose est sûre : le gouvernement français, quel qu’il soit, a besoin de demander aux milliardaires de contribuer davantage. Si eux ne font pas de sacrifices pour lutter contre le déficit, pourquoi les autres en feraient ?

* En français dans le texte