Chère Géraldine Woessner - Boxing Day #41

Chère Géraldine Woessner - Boxing Day #41

Chère Géraldine Woessner,

Quelle semaine !

Mardi 8 juillet, à l’occasion du vote de la loi Duplomb qui permettra, entre autres, de faciliter la construction de méga-bassines, d’alléger les restrictions sur l’élevage intensif et de réintroduire un néonicotinoïde (l’acétamipride), vous écriviez « [qu’]il y a des jours où la lutte déontologique pour une information juste et sourcée semble totalement perdue », on ne vous le fait pas dire. Sauf que ceux que vous visiez ne sont pas les députés qui ont défendu ce texte régressif sur le plan écologique et taillé sur mesure pour l’agro-industrie, mais les critiques de ce dernier, coupables selon vous d’avoir « [une] grille de lecture complotiste et anti-science », rien que ça, contrairement à la ministre de l’Agriculture que vous aviez interviewée la veille pour le Point afin qu’elle explique, sans contradiction de votre part, que « la loi Duplomb ne constitue pas un recul environnemental », merci d’avoir sauvé l’honneur du journalisme.

Il faut dire que c’est à une véritable croisade que vous vous êtes livrée ces derniers temps dans le but de présenter sous un jour favorable la loi Duplomb, qu’il s’agisse de dénoncer les « envolées dogmatiques » et les « amendements délirants » des Écologistes et de la FI que vous avez accusés de « surenchère populiste », de publier une longue « enquête » visant à nier, malgré les évidences, les dangers potentiels et avérés de l’acétamipride, de relayer sans aucun commentaire un post du président de la FNSEA affirmant que la loi Duplomb « protège lagriculture et lintérêt général », d’interviewer complaisamment deux fois en trois semaines Annie Genevard, ministre de l’Agriculture, ou de prétendre que les opposants à ladite loi défendraient des mesures « conduisant à assoiffer les campagnes et à précipiter la hausse des importations et la désertification du territoire », vous avez oublié les pluies de sauterelles.

Vous êtes donc, on le voit, éminemment bien placée pour donner des leçons de rigueur et de déontologie journalistiques, et nous ne doutons pas que vous continuerez de le faire dans les temps qui viennent puisque cette croisade, loin d’être, de votre part, la première du genre, s’inscrit dans une longue série de batailles que vous avez menées contre celles et ceux que vous nommez « les illusionnistes » — titre du livre que vous avez co-écrit avec votre confrère du Point Erwan Seznec — et que vous définissez comme « ceux qui font passer un combat pour un autre, cest-à-dire ceux qui se prétendent être les fers de lance de la lutte en faveur du climat, en faveur de lenvironnement et qui, en réalité, prônent un autre agenda politique dont les conséquences, souvent, pas toujours mais souvent, ont plutôt pour effet daggraver la situation à la fois environnementale et climatique », tout un programme.

Chère Géraldine Woessner, vous êtes ainsi l’une des incarnations, dans le champ médiatique, de cette école selon laquelle ce que vous désignez comme « l’écologie politique » — afin de la distinguer de l’écologie comme science, on y reviendra — serait une mouvance néfaste qui tenterait d’imposer ses vues en agitant des peurs injustifiées, quitte à mentir, manipuler et tricher. Et ces « illusionnistes » seraient d’autant plus dangereux qu’ils parviendraient à leurs fins en faisant adopter des législations constituant d’après vous des reculs sociaux, économiques voire écologiques : c’est à ce titre que vous êtes déterminée à rassurer gouvernants et gouvernés face aux discours « alarmistes » au sujet, entre autres, des pesticides, des OGM, du glyphosate, du nucléaire, des mégabassines, des déchets toxiques, de la pêche au thon ou de la climatisation, jusqu’à vous définir comme une « lanceuse d’alerte », quel talent.

Votre résolution est d’autant plus forte que vous êtes convaincue d’être engagée dans un combat contre des adversaires particulièrement redoutables car ils ne suscitent pas la méfiance alors qu’ils sont, d’après vous, le principal péril qui menacerait aujourd’hui la société française. On exagère ? Même pas, comme en témoigne l’introduction de votre ouvrage les Illusionnistes, qui mérite d’être longuement citée afin que tout un chacun puisse se familiariser avec vos analyses politiques, attention ça pique : « Dans le champ politique, le parti le plus dangereux de France reste probablement le Rassemblement national (RN). […] Toutefois, comme le RN est sous étroite surveillance de la presse, de la justice, des organisations non gouvernementales et de ses adversaires politiques, il ne dévie plus des rails démocratiques. Les écologistes, au contraire, ne font peur à personne. Ils agacent, ils horripilent, ils navrent, ils choquent, ils amusent, mais ils effrayent peu. Cette enquête vise à démontrer que cest la raison pour laquelle l’écologie politique constitue, aujourdhui, le courant de pensée faisant courir le plus de risques à notre pays. » Fichtre.

Vous vivez donc, on l’aura compris, dans ce monde étrange où le péril de l’extrême droite aurait été neutralisé et où les écologistes seraient désormais la principale menace contre les institutions démocratiques, ce qui exigerait dès lors un combat de tous les instants contre leurs idées, leurs propositions et leurs actions. Soit un intéressant retournement et, en vérité, une position qui incarne de façon quasi cristalline le « moment orwellien » que nous traversons actuellement, au sein duquel d’aucuns prétendent non seulement que « la guerre cest la paix, la liberté cest lesclavage et lignorance cest la force », mais aussi que « les vrais racistes sont les antiracistes », que « les vrais fascistes sont les antifascistes » ou encore, dans votre cas, que « les vrais fossoyeurs de la planète sont les écologistes ». Jusqu’à développer une vision quasi complotiste de ce que vous nommez les « paniques de santé publique » : « On crée un climat de peur. Cest une trentaine de personnes en France qui depuis 20 ans créent ces climats-là, sur le nucléaire comme sur les sujets [agricoles] que je viens d’évoquer. » « Une trentaine de personnes » : on s’abstiendra, par charité, de tout commentaire.

Face à ce danger, vous adorez expliquer que, tandis que les écologistes seraient dans « l’idéologie », vous vous situez quant à vous sur le terrain de « la science » et de « la raison », comme en témoigne ce florilège — non exhaustif — de certains de vos « arguments » au cours de récents échanges sur les réseaux sociaux :

- « Moi mon truc, cest de résoudre les défis réels qui font face dans lintérêt général, en utilisant la science, et la raison. »

- « Je le répète ici, le répèterai toujours : la science est ma boussole. La méthode scientifique : ma religion. »

- « Si vous vous sentez agressée par les faits et par la raison, vous men voyez navrée… »

- « Chacun peut lire et constater comment la science est piétinée au profit didéologies. Les honnêtes gens savent. »

- « J’ai longtemps cru que la raison allait lemporter, mais aujourdhui… »

- « Face à lurgence, la planète na pas besoin de nouvelles utopies. Elle a besoin de science, de connaissances et de solutions concrètes. »

- Etc.

Vous admettrez peut-être, chère Géraldine Woessner, qu’invoquer sans cesse « la raison » et « la science » est un moyen commode — et pas très original — de délégitimer, sans avoir besoin de longuement argumenter, ses adversaires, lesquels se retrouvent de facto rejetés dans le camp de « l’irrationnel » et de « l’anti-science ». Il ne s’agit évidemment pas ici de verser dans le relativisme en niant l’existence de vérités scientifiques, mais le moins que l’on puisse dire est que vous avez une notable capacité à prétendre que vous seriez la seule à vous référer à des travaux de chercheurs tandis que les écologistes n’en tiendraient jamais compte, voire nieraient leur réalité. D’où la distinction que vous faites, comme nous l’avons évoqué plus haut, entre « la science écologique dune part et l’écologie politique de lautre », qui sont selon vous « deux univers qui en réalité se rencontrent très peu, voire sopposent » ou, dans une autre version, « deux univers distincts, qui ne se croisent jamais ».

Voilà qui est pour le moins audacieux lorsque l’on sait à quel point les diverses associations et organisations écologistes, ce que vous nommez donc « l’écologie politique », n’ont de cesse de s’appuyer sur des rapports de chercheurs et chercheuses, autrement dit la « science écologique », qu’il s’agisse de parler, entre autres nombreux exemples, du dérèglement climatique, de l’effondrement de la biodiversité ou des effets des pesticides sur la santé humaine. Et voilà qui est en outre pour le moins osé lorsque l’on sait que nombre de scientifiques spécialisés dans l’écologie n’hésitent pas à s’aventurer sur le terrain politique pour défendre telle mesure, critiquer telle autre, voire pour apporter un soutien direct à certaines organisations et/ou luttes écologistes, à l’image de Valérie Masson-Delmotte, climatologue réputée, directrice de recherche au CEA et ex-coprésidente du groupe n°1 du GIEC, qui n’avait pas hésité à manifester son soutien aux Soulèvements de la Terre menacés de dissolution. Les « deux univers » qui ne se « croisent jamais » se croisent ainsi régulièrement, ce qui ne signifie évidemment pas qu’ils se confondraient ou qu’ils seraient à l’unisson, mais ce qui signifie en revanche que vous racontez à ce propos un peu n’importe quoi.

À l’appui de votre thèse sur cette prétendue séparation et, partant, sur le caractère supposément farfelu des constats opérés par les organisations écologistes, vous n’hésitez pas à affirmer que les rapports produits par les associations et ONG de cette mouvance seraient par définition non scientifiques, comme vous l’expliquiez encore récemment dans une interview qui a, au passage, suscité une vive polémique au sein d’EDF : « Aujourdhui dans les médias, cest un rapport de Greenpeace, un rapport dOxfam ou un rapport de Générations futures, et cest traité comme si c’était un rapport scientifique. Évidemment ça ne lest pas, cest de la science militante mais cest masqué. » Ou comment jeter le discrédit, au nom bien sûr de la « vraie science », sur des études dont on a évidemment le droit de contester les objectifs, la méthode, voire les parti-pris, mais à la condition de discuter de leurs biais avérés et non de leur dénier toute légitimité au nom de leur caractère prétendument « non-scientifique ». Il s’avère en effet que nombre de rapports de ce type d’organisations sont appuyés sur des travaux de recherche scientifique, à l’instar des rapports d’Oxfam sur « le poids des ultra-riches dans les inégalités d’émission [de CO2] en France » ou de Générations futures sur « [les] PFAS dans l’alimentation », quand ils ne sont pas tout simplement élaborés avec des chercheurs, comme l’étude de Greenpeace sur l’état actuel des aires marines protégées, co-écrite avec Joachim Claudet et Charles Loiseau du CNRS.

Venant de vous, l’accusation a d’autant plus de sel que vous n’hésitez pas, de votre côté, à présenter comme étant incontestables des données venus d’organismes pour le moins éloignés des institutions scientifiques, comme vous l’avez récemment fait au cours d’un article sobrement titré « Climatisation en France : quand l’idéologie tue » dans lequel vous entendiez démontrer que « des milliers de Français meurent de la chaleur pendant que le pays refuse la climatisation, au nom darguments écologiques largement infondés », voilà ce qui s’appelle lancer une alerte. À l’appui de votre thèse selon laquelle la généralisation des climatiseurs en France ne présenterait pas de danger pour l’environnement, vous citez ainsi un rapport du Citepa, que vous présentez comme « lorganisme chargé des inventaires d’émissions nationales et dont les données font référence », en oubliant soigneusement de préciser que le Citepa n’est pas un centre de recherche ni même un organisme public mais une association comptant parmi ses adhérents Air France, ArcelorMittal, Eiffage, EDF, Engie, Esso, Lafarge, Suez, TotalÉnergies ou Veolia, soit un bel aréopage d’amis du climat dont le rapport à la « science » n’a évidemment rien de « militant ».

Notre objet n’est pas d’affirmer ici que les chiffres contenus dans les études des organisations écologistes seraient nécessairement vrais tandis que ceux fournis par vos sources préférées, y compris le Citepa, seraient nécessairement faux, mais bien de constater que vous êtes une adepte du « deux poids deux mesures » en ce qui concerne la légitimité des informations produites par les uns et les autres. Vous semblez ainsi postuler que toute étude à caractère scientifique venant de « l’écologie politique » serait nécessairement de l’idéologie faisant abstraction des faits alors que, dans le même temps, vous n’hésitez pas à « corriger » à la baisse, selon vos propres termes, les données concernant les climatiseurs fournies par l’Ademe (1) et le Ceren (2), deux organismes peu suspects de gauchisme, en vous référant à celles d’une structure au-dessus de tout soupçon : le Synasav, syndicat des entreprises de « maintenance en génie climatique », chargées entre autres de l’entretien et de la réparation des climatiseurs et donc grandement intéressées à la multiplication de ces derniers, on a connu source moins partisane. En même temps, rien ne devrait nous surprendre venant de celle qui considère que la FNSEA n’est pas un lobby mais seulement un « syndicat », c’est bien noté, et qu’il n’existe pas de lobby du nucléaire en France, tout va bien alors, dormez braves gens.

Vous avez donc, chère Géraldine Woessner, une certaine vision de la « raison » et de la « science », qui s’accompagne logiquement d’une conception bien à vous de la notion de « consensus scientifique », à laquelle vous aimez vous référer pour renvoyer dans les cordes les tenants de « l’écologie politique » trop critiques de vos articles et de vos prises de position. Rappelons qu’un consensus scientifique peut être défini comme « une vérité établie sur un ensemble de preuves vérifiables, acceptée par la communauté scientifique, valable pour une période donnée en fonction des connaissances de lhumanité à cette période » et qu’il en existe plusieurs sur les questions écologiques, entre autres et notamment concernant les origines humaines du réchauffement climatique. Votre définition du consensus scientifique semble être quant à elle particulièrement extensive, puisque vous avez été capable d’affirmer, lors de l’examen de la loi Duplomb, ce qui suit : « Lacétamipride nest PAS cancérigène — cest le consensus scientifique ». Une assurance pour le moins surprenante lorsque l’on sait qu’il n’existe absolument aucun consensus scientifique, y compris concernant les cancers, concernant les effets de l’acétamipride sur la santé humaine, comme en témoigne par exemple un récent état des lieux des travaux sur les néonicotinoïdes publié dans la revue Environment International qui constate que, si consensus il y a, c’est sur la nécessité de poursuivre les recherches, ou une tribune contre la loi Duplomb notamment signée par les médecins et chercheurs présidant la Société française d’hématologie, la Société française de pédiatrie, la Société française de neurologie et la Société française d’endocrinologie, par les présidents de la Ligue nationale contre le cancer, de la Fondation ARC pour la recherche sur le cancer et de la Fondation pour la recherche médicale, ou encore par le président du conseil scientifique du CNRS, soit un consensus de toute évidence assez peu consensuel.

Et lorsque la littérature spécialisée ne va pas dans votre sens, vous faites montre d’une extrême habileté à trouver « le » document qui vous arrange, même s’il ne représente rien face à la somme de travaux de recherche, comme lorsque vous avez relativisé, en mars 2019, la responsabilité des pesticides dans l’effondrement des colonies d’abeilles, en rétorquant à Bernard Pivot, qui s’en alarmait, ce qui suit : « Avez-vous lu les rapports de la DGAL ? 6,6% de la mortalité des abeilles est attribuée aux pesticides. Loin derrière les agents pathogènes (Varroa) et les mauvaises pratiques... » Soit une référence à un chiffre largement contesté par les éleveurs d’abeilles eux-mêmes (3), issu « [d’]une note de service de la direction générale de lalimentation, méthodologiquement douteuse, statistiquement infondée, et surtout gravement déformée », allant à l’encontre de la recherche scientifique sur la question (4) et dont le ministère de l’Agriculture a lui-même reconnu qu’il était tiré d’un article n’ayant « aucune ambition statistique, car le dispositif mis en place ne peut rendre compte de l’état sanitaire des ruchers français ». Bref, « la science ».

Une attitude, au total, fort peu scientifique, qui n’étonne guère dans la mesure où vous n’avez jamais eu aucune formation, activité ou production dans ce champ, et qui se manifeste aussi par votre propension à remettre régulièrement en question, on ne sait pas bien au nom de quelle légitimité, les travaux de chercheurs dont les conclusions vous déplaisent. Un exemple particulièrement significatif nous a été donné à voir avec la « polémique » que vous avez suscitée, en mai 2022, en contestant les résultats d’une étude, réalisée par 10 chercheurs des départements d’épidémiologie, de nutrition et de santé environnementale à Harvard, établissant que les résidus de pesticides sur les fruits et légumes pourraient annuler les bénéfices de leur consommation. Votre sang n’a alors fait qu’un tour : « rien ne va dans cette étude », « méthodologie foireuse », « algorithme bancal », « interprétation farfelue », accusation de fraude (« Les chercheurs de Harvard […] ont trouvé une explication en triturant leur modèle »), décidément quand on critique les pesticides vous avez du mal à vous retenir, quitte à raconter, là encore, à peu près n’importe quoi.

Cette « polémique » fut d’ailleurs l’occasion pour vous de faire montre de tout votre respect pour le travail de vos confères journalistes, puisque vous vous en êtes alors vivement prise aux médias ayant diffusé les résultats de cette étude, au premier rang desquels le Monde, que vous avez accusé d’avoir publié un article au « titre mensonger », de faire partie « [d’]une presse militante et dévoyée » et de céder aux injonctions du « lobby bio », rien que ça (5). Totalement en roue libre, et après que le Monde eut répondu à vos attaques, vous vous êtes alors distinguée par un sens aigu de la discussion avec vos confrères, en déclarant notamment ceci : « Je me moque pas mal de ce que disent une poignée de "collègues" politisés, engagés dans une croisade qui dure depuis 4 ans. Ils sont une insulte à la science, à la raison et à la démocratie ». Et d’enfoncer le clou : « Quand le Monde se fait l’étendard de militants-journalistes en révolte contre la science, au nom dune idéologie, la raison pleure... Et nous aussi. » « La raison », encore et toujours (6).

Chère Géraldine Woessner, vous n’êtes pas seulement une spécialiste auto-proclamée de la dénonciation des supposées « paniques de santé publique » mais vous trouvez en outre le temps, entre deux tweets destinés à flinguer une étude scientifique ayant mobilisé 10 chercheurs durant plusieurs années, de vous aventurer sur d’autres terrains, en publiant régulièrement dans le Point, spécialiste des fausses infos en tout genre (7), des articles qui confirment non seulement que vous êtes une spécialiste d’à peu près tout, notez qu’il y a comme une contradiction dans les termes, mais aussi que vos préoccupations et prises de position n’ont décidément rien à voir avec l’idéologie, par exemple :

- « Les réseaux des mollahs en France » (25 juin 2025) ;

- « Exclusif : 100 000 Afghans en France, le défi de l’intégration » (4 juin 2025) ;

- « Entrisme des Frères musulmans : offensive sur l’université » (22 mai 2025) ;

- « Bayrou amorce un retour à la raison énergétique (et budgétaire) » (28 avril 2025) ;

- « Derrière le mythe d’Edwy Plenel, les failles d’un journalisme de combat » (4 avril 2025) ;

- « Wikipédia n’est pas une encyclopédie, c’est un tribunal populaire » (interview de Philippe Val, 25 février 2025)

- « Comment les réseaux du régime algérien déstabilisent la France » (16 janvier 2025) ;

- « Dépenses publiques à la dérive : une question de lâcheté ? » (8 novembre 2024)

- « Bruno Retailleau est totalement en phase avec les attentes de l’opinion publique » (interview de Guillaume Larrivé, 22 septembre 2024) ;

- « LFI, la grande peur des Juifs de France » (6 juin 2024) ;

- Etc.

Et lorsque vos obsessions se mélangent, attention les yeux, car cela peut aller très loin, comme lorsque vous avez cru bon, au lendemain des attentats commis par le terroriste d’extrême droite Brenton Tarrant le 15 mars 2019, qui ont fait 51 morts dans deux mosquées de Christchurch en Nouvelle-Zélande, d’expliquer que le « Grand remplacement » dénoncé par l’auteur des massacres n’était pas une théorie mais… un fait scientifique : « La "théorie du Grand remplacement" nest PAS une "théorie" : cest une PEUR, qui sappuie sur des éléments concrets, que nous fournissent les pays qui, contrairement à la France, tiennent des statistiques ethniques… Le "remplacement" de populations na rien de fantasmatique : il est advenu dans maintes villes des USA ou du Canada, où les Latinos sont maintenant majoritaires. […] Ce nest pas un mal : cest un FAIT. Dicté par la science démographique, avec lequel il faut composer. […] En France, on ne débat PAS. RIEN. On préfère NIER les taux de natalité plus élevés de populations allogènes, au motif que la République, très forte, serait capable dintégrer chacun dans son grand creuset laïc et républicain » (8). Des propos dont la dangerosité n’a d’égal que leur caractère mensonger et manipulatoire, et qui en disent tout aussi long sur votre rapport instrumental à « la science » que sur votre vision du monde particulièrement humaniste.

Depuis quelque temps, vous vous êtes en outre fait une spécialité de donner votre avis — forcément très éclairé — sur la situation en Israël/Palestine, qu’il s’agisse de prétendre que Gaza est « un territoire palestinien autonome », ce que dément le droit international (9), d’affirmer en juin 2024 « [qu’]aucun fait ne soutient laccusation ridicule de "génocide", ce que lintégralité des juristes reconnaît », ce qui est évidemment faux, de confondre la Cour pénale internationale (CPI) et la Cour internationale de justice (CIJ) et de déclarer que cette dernière « na à aucun moment parlé de génocide », soit un bien beau combo d’âneries, de relativiser les chiffres de la famine à Gaza, sans doute encore une « panique de santé publique », de proclamer que « ceux qui persistent à utiliser [le mot génocide] ont, de fait, les mêmes intentions génocidaires que le Hamas », c’est très subtil, de soutenir que « personne na jamais vu de génocide qui se traduise par une augmentation de la population ciblée », quelle ignominie, ou encore de raconter que le Hamas aurait fait de Gaza une « no-go-zone pour la presse depuis 18 ans », il faudra alors nous expliquer pourquoi des dizaines d’associations de journalistes et de médias internationaux assurent que c’est depuis le 7 octobre 2023 qu’ils ne peuvent plus se rendre à Gaza et que la responsabilité en incombe à Israël. Et nous n’oublions évidemment pas votre émouvant témoignage de solidarité à l’égard de vos confrères gazaouis, dont plus de 200 ont été tués en moins de deux ans, que vous avez su saluer en quelques mots soigneusement choisis : « Il ny a pas de journaliste palestinien. Vous collez un concept occidental sur une entité qui nexiste pas », on va vomir et on revient (10).

Il y a deux semaines, vous vous êtes encore distinguée en reprenant sans filtre les éléments de propagande de l’État d’Israël concernant les distributions d’aide alimentaire à Gaza, sans apporter — et pour cause — le moindre début de commencement d’une preuve de vos affirmations : « On entend quand même beaucoup dans les médias le narratif du Hamas. […] Le Hamas voulait contrôler toute laide alimentaire, dun côté pour la militariser, et aussi pour sen servir de moyen de pression contre son propre peuple […]. La solution alternative qui a été proposée par Israël nest pas la meilleure, mais il y a eu ces 44 millions de repas distribués », et tant pis pour les plus de 600 victimes recensées en à peine plus d’un mois, et ne tenons surtout pas compte des positions de l’ONU et des ONG, probablement elles aussi contaminées par « le narratif du Hamas ». Dans la même veine, vous avez jugé pertinent de qualifier la récente flottille pour Gaza de « spectacle » et « [d’]opération de communication » consistant en « des séquences Instagram avec des influenceuses très maquillées, très joyeuses », no comment, faisant preuve à cette occasion d’une remarquable modestie puisque vous n’avez pas revendiqué d’expertise particulière concernant la navigation en mer alors que vous faites pourtant partie du prestigieux panel de « conférenciers » intervenant lors de croisières de luxe (11) organisées par la compagnie Ponant possédée par François Pinault, également propriétaire du Point, le monde est petit.

Au total, chère Géraldine Woessner, vous faites partie de cette catégorie particulièrement déplaisante de « journalistes » qui prétendent dire « le vrai » et « les faits » alors qu’ils et elles ne sont rien d’autre que des militants multipliant les prises de positions publiques qui, sous couvert de fausse neutralité, sont l’expression d’une idéologie, d’une vision du monde et d’un projet politique fondamentalement néoconservateurs. Vous avez évidemment le droit d’être une militante, un terme qui est loin pour nous d’être une injure, et même une militante réactionnaire si cela vous chante, mais la moindre des choses serait de l’assumer et, partant, d’arrêter de donner des leçons de déontologie à toute la profession voire d’insulter les médias qui portent un discours qui vous dérange, comme vous l’avez par exemple fait en écrivant que Blast était « le souffle de la propagande antisémite », honte sur vous. Tout semble cependant indiquer que vous entendez continuer à vous satisfaire du fait que certains apprécient votre travail, comme lorsque vous avez été qualifiée, bravo à vous, de « [journaliste pour laquelle] la vérité est avant tout une adéquation au réel et pas une rumination didéologies préconçues » par l’organe de communication du lobby des betteraviers : on a les hommages qu’on mérite.

Cordialement,

Jules Blaster

(1) Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie.

(2) Centre d’études et de recherches économiques sur l’énergie.

(3) Ce que vous avez vous-même admis, mais ce qui ne vous pas empêché de diffuser, plus de deux ans après sa publication, un chiffre douteux, en le brandissant comme un argument.

(4) Entre autres : L. W. Pisa, V. Amaral-Rogers, L. P. Belzunces, J. M. Bonmatin, C. A. Downs, D. Goulson, D. P. Kreutzweiser, C. Krupke, M. Liess, M. McField, C. A. Morrissey, D. A. Noome, J. Settele, N. Simon-Delso, J. D. Stark, J. P. Van der Sluijs, H. Van Dyck et M. Wiemers, « Effects of neonicotinoids and fipronil on non-target invertebrates », Environmental Science and Pollution Research, vol. 22, 2015, pp. 68-102 ; N. Simon-Delso, V. Amaral-Rogers, L. P. Belzunces, J. M. Bonmatin, M. Chagnon, C. Downs, L. Furlan, D. W. Gibbons, C. Giorio, V. Girolami, D. Goulson, D. P. Kreutzweiser, C. H. Krupke, M. Liess, E. Long, M. McField, P. Mineau, E. A. D. Mitchell, C. A. Morrissey, D. A. Noome, L. Pisa, J. Settele, J. D. Stark, A. Tapparo, H. Van Dyck, J. Van Praagh, J. P. Van der Sluijs, P. R. Whitehorn et M. Wiemers, « Systemic insecticides (neonicotinoids and fipronil): trends, uses, mode of action and metabolites », Environmental Science and Pollution Research, vol. 22, 2015, pp. 5-34 ; T. Wood et D. Goulson, « The environmental risks of neonicotinoid pesticides: a review of the evidence post 2013 », Environmental Science and Pollution Research, vol. 24, 2017, pp. 17285–17325.

(5) Notons que l’étude de Harvard ne fut pas la seule à laquelle vous vous en êtes alors prise, puisque vous avez également vivement attaqué, en n’épargnant pas les médias qui les avaient diffusés, les résultats d’un rapport du réseau PAN Europe concernant lui aussi les résidus de pesticides sur les fruits et légumes, là encore en avançant des arguments particulièrement douteux. Un an plus tard, rebelote avec une étude de deux chercheurs de l’université de Stockholm accusant plusieurs fabricants de pesticides d’avoir dissimulé la neurotoxicité de certains de leurs produits, à propos de laquelle vous avez publié un article prenant une fois de plus quelques libertés avec la déontologie journalistique.

(6) Cette croisade contre le Monde ne fut pas la seule du genre. On se souvient ainsi par exemple de la façon dont vous vous en êtes prise, en janvier 2019, à un numéro de l’émission « Envoyé spécial » consacré au glyphosate, décidément, en avançant là encore des arguments pour le moins bancals, pour ne pas dire mensongers. Soulignons ici que votre hostilité aux émissions d’investigation du service public est devenue quasiment proverbiale et que vous l’appuyez sur une très fine analyse : « On a vu beaucoup se développer en France ces émissions type "Complément denquête", "Envoyé spécial", dont la promesse est : on va vous révéler un scandale. Bon, le problème cest quon est en France, on na pas un scandale tous les quinze jours en réalité, ce nest pas vrai. Ça arrive hein, il y a des choses scandaleuses, le chlordécone est un scandale, mais il ny a pas un scandale tous les quinze jours en France. Du coup on va un petit peu les faire mousser, puis un petit peu en fabriquer. Voilà. » Si vous le dites.

(7) Signalons ici que, sauf erreur de notre part, vous n’avez à ce jour pas eu un mot de soutien pour vos 58 collègues menacés par un plan social au Point. La confraternité, encore et toujours.

(8) Nous ne savons pas si c’est Donald Trump qui vous a inspiré l’idée d’écrire des mots en majuscules dans vos posts sur les réseaux sociaux, mais croyez-nous c’est ASSEZ PÉNIBLE.

(9) Extrait du rapport publié en mai 2023 par le Haut-Commissariat de l’ONU aux droits de l’homme : « Israël continue doccuper le Territoire [Gaza] du fait quil exerce un contrôle, entre autres, sur son espace aérien et ses eaux territoriales, les points de passages terrestres aux frontières, les infrastructures civiles et notamment lapprovisionnement en eau et en électricité, et les fonctions gouvernementales clés, comme la gestion du registre de la population palestinienne ».

(10) Dans la catégorie « propos outranciers », rappelons que vous fûtes aussi l’autrice, en novembre dernier, de cette surprenante déclaration : « Lantisémitisme qui existait dans les années 30 ou 40 était un antisémitisme honteux. LAllemagne a caché ce quelle faisait aux Juifs. Aujourdhui on a une forme dantisémitisme qui peut sabriter derrière une excuse de lantisionisme, ça cause énormément de confusion dans les esprits, et il ne se cache plus, il est revendiqué. » Il est vrai que le régime nazi et ses alliés antisémites sont restés dans l’histoire comme étant particulièrement discrets concernant leur haine des Juifs.

(11) Nous ne savons pas s’il existe une méthode scientifique permettant de définir ce qu’est une « croisière de luxe » mais avec un tour de Corse qui coûte « à partir de 12 950 euros » pour dix jours et neuf nuits nous pensons ne pas nous tromper.

Crédits photo/illustration en haut de page :
Morgane Sabouret