Toute critique de Charlie Kirk est-elle une apologie de son assassinat ?
C’est ce que laissent croire des apôtres de Kirk qui mènent une campagne féroce en ligne pour harceler, sanctionner et faire taire ceux qui ont osé critiquer l’influenceur d’extrême droite après sa mort. Dans la foulée de cette chasse aux critiques de Kirk, des dizaines de personnes ont été congédiées aux États-Unis. Une professeure de l’Université de Toronto a aussi été suspendue pour un commentaire dont la « rhétorique violente » a été condamnée par le ministre ontarien des Collèges et des Universités.
Soyons clairs : on ne peut que condamner fermement le terrible meurtre de Kirk. Même (ou peut-être surtout) pour ses adversaires politiques, il n’y a là absolument rien à célébrer. Sa mort aussitôt instrumentalisée par le clan trumpiste n’augure rien de bon pour les États-Unis.
PHOTO CHENEY ORR, ARCHIVES REUTERS
Charlie Kirk en 2024
Alors que l’on ne savait encore rien des motivations du suspect – elles ne sont toujours pas élucidées au moment où j’écris ces lignes –, Donald Trump a vite promis de « traquer la gauche radicale », estimant que son discours « est directement responsable du terrorisme que nous observons aujourd’hui dans notre pays ».
Il s’est évidemment bien gardé de souligner que l’extrême droite est impliquée dans plus de 90 % des meurtres extrémistes aux États-Unis depuis 20051.
Ça ne veut pas dire que la violence politique est moins grave si l’enquête révélait ici que le meurtrier embrassait des idées de gauche. Mais ça veut dire que si Trump était le moindrement sérieux dans sa dénonciation du terrorisme et de la violence politique, il traquerait en priorité ses propres platebandes.
En s’empressant de gracier en masse les émeutiers du Capitole, il a bien sûr fait exactement le contraire sitôt élu, envoyant le message à l’extrême droite que certaines violences seraient légitimes dès lors qu’elles servent les intérêts du président.
Pour en revenir à Kirk… Tout en condamnant son assassinat, on n’a pas pour autant à glorifier un homme aux discours violents et haineux déguisés en liberté d’expression. On n’a pas à placer ses idées dangereuses à l’abri de tout regard critique.
Il est insensé de transformer Kirk en saint ou en héros intouchable contre qui l’on ne pourrait plus rien dire sous peine de se faire accuser de blasphème. Si Kirk pouvait tenir les propos les plus abjects qui soient, racistes, misogynes, homophobes ou transphobes au nom de la liberté d’expression, il est pour le moins ironique que ses adeptes somment aujourd’hui ses détracteurs de renoncer à la leur pour mieux lui ériger une statue de martyr.
Rappelons que l’on parle ici d’un homme qui disait que le Civil Rights Act promulgué en 1964 pour mettre fin à la ségrégation et à la discrimination aux États-Unis était une « erreur » qui s’est transformée en arme anti-Blancs. En 2021, il avait qualifié George Floyd, tué par un policier de Minneapolis, de « salaud » ne méritant pas notre attention.
Adepte de la théorie conspirationniste du « grand remplacement », il propageait une idéologie antisémite laissant croire que les Juifs tentaient de remplacer les Blancs aux États-Unis par des immigrants non blancs. Une idéologie mortifère qui a motivé l’auteur de l’attentat dans une synagogue de Pittsburgh ayant tué 11 fidèles en 2018.
Rappelons encore que l’on parle d’un homme qui, avec son organisation Turning Point USA, était un défenseur autoproclamé de la liberté d’expression sur les campus et ailleurs, tout en en ayant une conception plutôt tordue. Cette « liberté » incluait la liberté d’intimider, de harceler et de faire taire des professeurs considérés comme « gauchistes » avec la publication d’une liste de « surveillance ».
C’est ainsi que plusieurs professeurs épinglés sur la liste, dont un nombre disproportionné de personnes noires, ont reçu des menaces de mort et des messages haineux. Simplement pour avoir, par exemple, pris la parole dans les médias après la mort de George Floyd et osé critiquer le suprémacisme blanc.
Le tournant que Kirk a réussi à atteindre avec Turning Point n’est pas celui de campus américains plus « libres » de débattre, mais plutôt de campus où le curseur de ce qui constitue une idée socialement acceptable méritant d’être débattue s’est déplacé dangereusement vers l’extrême droite.
Pourfendeur des droits des personnes LGBTQ+, Kirk encourageait les étudiants et les parents à dénoncer sur sa « Professor Watchlist » les professeurs soupçonnés d’embrasser ce qu’il appelait « l’idéologie du genre ». Il croyait qu’il fallait une « sorte de procès de Nuremberg » pour traduire en justice les médecins des cliniques d’affirmation de genre.
Il encourageait ses adeptes à rejeter le féminisme et à se soumettre à leur mari. Et bien d’autres choses encore qui ne sont pas de simples opinions « controversées », mais bien des discours radicaux qui mènent à la violence.
Bref, ce n’est pas faire l’apologie d’un meurtre que d’oser critiquer les dangereuses idées propagées par Charlie Kirk. C’est plutôt refuser de normaliser des discours racistes, homophobes, transphobes ou misogynes. C’est refuser de sanctifier la haine.
1. Lisez l’article « Aux États-Unis, l’extrême droite est impliquée dans 93 % des meurtres extrémistes »